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Dr Abdoulaye Dieng : Pharmacien engagé pour la santé communautaire et le développement local

PROFIL – Edition n°12 – Avril 2022

Dr ABDOULAYE DIENG

TITULAIRE DE LA PHARMACIE MBORO-ESCALE – PRESIDENT DU CONSEIL D’ORIENTATION DE LA DER/FJ



« LES PHARMACIENS DOIVENT SE RECONNAITRE COMME DES ACTEURS COMMUNAUTAIRES EN SANTE »

Diplômé de la faculté de Médecine, de pharmacie et d’Odonto-Stomatologie en 1993, le Dr Abdoulaye Dieng s’est installé à Mboro, ville située à 25 km à l’Ouest de Tivaouane et à 117 km au Nord de Dakar en 1996, avant de démarrer officiellement ses activités communautaires en 1997.  Très dévoué à la tâche, Dr Dieng n’est pas un pharmacien comme les autres. Derrière le comptoir, l’homme exerce sa profession avec conscience et dans l’intérêt de la santé publique, au-delà, il participe à l’autonomisation des femmes de sa localité. Le social au cœur, il a réussi à faire du développement communautaire une réalité à Mboro. Trouvé dans son officine sur la route de Mboro, celui que l’on surnomme « le HE FOR SHE » des femmes, s’est ouvert à l’équipe de Médical Actu. En passant au peigne fin ses difficultés d’insertion en tant que jeune pharmacien après l’obtention du diplôme, sa vie associative de   tous les jours, son entrée en politique, les difficultés liées à l’exercice de la profession, non sans prodiguer des conseils à la jeune génération. Du comptoir à la DER/FJ (Délégation à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes) en passant par le développement local, Dr Abdoulaye Dieng livre la recette de sa réussite professionnelle.

IMPLICATION DANS LES INSTANCES DE LA PROFESSION

La lutte syndicale dans le monde de la pharmacie au sénégal. Engagement dans le Syndicat des Pharmaciens Privés entamé de 2002 à 2012 d’abord sous la présidence du Dr Annette Seck Ndiaye, puis celle du Dr Constance Faye entre autres qui avaient déjà posé les jalons sur le plan organisationnel en signant des conventions avec les banques, les assurances et autres structures partenaires. Nous avons réussi la réorganisation avec l’équipe dirigée par Dr Abou Sarr. C’est durant ces années que la véritable lutte syndicale a commencé avec des actions comme le boycott des grossistes ou Laboratoires qui livraient le marché parallèle du médicament. Tenue de conférences de presse durant lesquelles Keur Serigne Bi était directement pointé du doigt. Fermeture des rideaux pendant une demi-journée puis une journée entière, etc. Ce fut également la période où la formation continue des pharmaciens a commencé à être véritablement prise en compte avec des conventions avec ADEMAS, MSH, IntraHealth. On a aujourd’hui un syndicat qui est encore au charbon, défend nos intérêts, continue l’organisation et le management des intérêts des pharmaciens du privés.

Conseiller à l’ordre des pharmaciens. De 2017 à 2021 j’ai été très bien élu comme conseiller à l’Ordre. De 2019 à 2021 j’ai assuré la présidence de la Commission sociale et hérité du dossier des pharmaciens impactés par les travaux du TER. Nous avons pu mener à bout ce dossier et fait en sorte que les dossiers des pharmaciens impactés par les Grands travaux soient traités spécifiquement à l’avenir par « Agéroute » et les autres. C’est ce Conseil de l’Ordre sous la Présidence du Dr Amath Niang qui a étrenné le nouveau siège « Maison de l’Ordre » au Point E à Dakar. Nous avons ainsi pu finaliser ce projet démarré une dizaine d’année avant par les Dr Ndiadé et Annette Seck, continué par Dr Cheikh Oumar Dia et Dr Sokhna Diagne. Cependant pour une meilleure organisation de la profession, je propose que l’élection du président de l’ordre soit au suffrage direct. Et après on procède à l’élection du bureau.

Problématique de l’installation et l’insertion des jeunes pharmaciens

Je me rappelle que dans les années 90 on était confronté à la même situation. D’ailleurs il y avait la création de l’association des médecins et pharmaciens chômeurs. Le départ de la première vague de pharmaciens en Mauritanie. Et il a fallu l’Arrêté du ministre de la Santé M. Ousmane Ngom en 1995 pour permettre à beaucoup de pharmaciens de s’installer. D’autant plus qu’il n’y avait pas beaucoup d’offres de formation complémentaire en pharmacie. Cet arrêté a vraiment réussi à résorber le gap des pharmaciens chômeurs. Mais depuis quelques années il y a un ralentissement, qui peut s’expliquer par le fait que le flux sortant ne correspond pas aux besoins. Toutefois, j’espère que cette année il y aura aussi un Arrêté de création d’officine qui va apporter un début solution à ce problème. Parce que les jeunes ont posé sur la table leurs doléances, ont beaucoup manifesté et je pense que les choses vont bouger. Mais là aussi installer des pharmacies de plus ne va pas régler le problème. Au contraire, cela peut engendrer le revers de la médaille. Parce qu’il y aura beaucoup plus de pharmaciens qui seront concentrés dans certaines zones avec le risque de fragiliser certains. Ce qu’il faut faire c’est de diversifier les offres et les opportunités d’insertion. Et surtout dans le public parce que dans les pharmacies de district sanitaire ce sont toujours des dépositaires communautaires qui les gèrent. Et normalement s’il y a un médecin-chef de district on devait aussi avoir un pharmacien. C’est la direction de la pharmacie et du médicament qui fait la cartographie pour voir le nombre de sites disponibles. Avant, c’était trop serré mais cette année ils ont sorti un arrêté et le nombre de sites proposés sera certainement augmenté. Maintenant tous les sites proposés risquent de ne pas être viable.  L’officine est le point de chute le plus valorisant et le plus simple en pharmacie. Les offres de formation coûtent aussi chers et ce n’est pas à la portée de tous. Mais si on arrive à avoir d’autres industries comme Téranga pharma, Medis et toutes les initiatives en gestation, cela facilitera les choses. D’autres filières peuvent aussi être exploitées telles que l’industrie alimentaire… Mais il faut donner l’opportunité aux jeunes pharmaciens d’avoir des bourses. Sinon ils sont obligés d’aller travailler pour payer leur formation.

Le marché parallèle et les difficultés à Mboro

Il y a un vendeur à la sauvette de médicaments dans certains coins du marché. Les facilitateurs sont les « Horaires » (transports). Avant on avait celui hebdomadaire vers Touba, mais maintenant on a partout des « Horaires » journaliers vers Touba.

Et c’est habituel qu’une dame vienne avec un carton de médicaments trouvé dans le marché parallèle mais ce n’est pas à grande échelle. Il y a une source d’approvisionnement dans tout le territoire mais c’est un combat titanesque. Même s’il y a eu des avancées avec les saisies spectaculaires de Touba, le problème demeure car il est tentaculaire. C’est vraiment ça la véritable lutte syndicale. Mais il faut d’abord balayer devant notre propre porte avant d’affronter les autres. C’est difficile à éradiquer définitivement parce que c’est un marché plus lucratif due la vente de drogue selon l’Organisation Mondiale des Douanes.

Retour des médicaments avec les grossistes

Le gros risque c’est le volume de nos pertes avec les péremptions de médicaments en pharmacie et cela risque de tripler ou de quadrupler. Parce qu’il y a des médicaments que l’on ne peut pas conseiller et que l’on ne peut pas retourner au-delà d’un certain nombre de jours. Et s’il n’y a pas de prescripteurs, le médicament est oublié. Le grand perdant c’est le pharmacien qui est au bout de chaîne et s’il y a vraiment une autre lutte syndicale à mener c’est celle-là. Le syndicat avait commencé et il doit continuer sinon l’exploitation des pharmacies va continuer à connaitre des problèmes. Parce qu’un médicament qu’on a commandé l’objectif c’est de le vendre à défaut le retourner chez le grossiste pour qu’il puisse le ventiler ailleurs ou la demande est plus forte. Cela reste un des chantiers à mener pour le Dr Assane Diop et Cie. 

Favoriser la formation continue des titulaires et du personnel des agents de comptoir 

Comme toute activité humaine, le travail de pharmacien est très sensible et dans ce sens la responsabilité du pharmacien est toujours engagée dans tous les actes de délivrance. L’obligation pour le titulaire, c’est d’être présent à défaut d’avoir un assistant et de se former lui et son personnel.  Il faut coacher son équipe et la rendre plus opérationnelle. En plus d’une  formation continue, la proximité et la surveillance. Et c’est justement cette surveillance-là qui fait défaut dans nos officines. C’est une œuvre humaine et pour se mettre à l’abri il faut former son équipe. L’autre chose c’est que le pharmacien se limite à son rôle. Par ailleurs, il faut offrir aux pharmaciens la possibilité de faire des formations continues (EPU) mettre à jour leurs connaissances et améliorer leurs compétences. Nous avons un monopole grâce à ces deux qualités. Nous devons impérativement les préserver.

L’avenir de la profession dans la décennie à venir

On était vraiment en léthargie mais la pandémie à covid-19 nous a ouvert les yeux en nous montrant nos limites en santé mais surtout en pharmacie. Ce qui a boosté un peu les initiatives pour aller vers la souveraineté pharmaceutique. Aujourd’hui les pharmaciens d’officine doivent aller au-delà du conseil et de la délivrance des médicaments. L’État doit nous associer dans toutes les ripostes contre les différentes maladies. Le combat est que la pharmacie est une ressource humaine disponible à mobiliser. Nous ne sommes confinés qu’à la délivrance du médicament. Le pharmacien doit sortir de son officine et participer au développement communautaire en Santé. Pour chaque programme former les pharmaciens, les outiller et les faire participer.

Rapport avec le ministère de la santé, élection du bureau de l’ordre…

On a l’impression que le ministère de la santé est très médicalisé, il n’y a que les médecins qui ont droit au chapitre alors que c’est toute la profession de santé. C’est une source de frustration pour tous. L’exemple le plus patent c’est durant la pandémie à Covid-19 où il a été demandé que le personnel de santé prioritaire soit identifié et lorsque les pharmaciens ont présenté leurs listes il leur a été signifié qu’ils n’étaient pas prioritaires pour la vaccination contre le Covid-19. La deuxième chose c’est qu’on n’est pas impliqué. Les pharmaciens doivent se reconnaître comme des acteurs communautaires en santé et non attendre les populations dans les officines pour leur livrer le médicament.

C’est ainsi qu’en 2008 j’ai monté une unité de production d’un gel antiseptique des mains « GEL SET » qui a contribué à la riposte contre les épidémies de Choléra. Lors de l’épisode d’Ebola j’étais le seul à détenir un stock de Gel antiseptique des mains. Ainsi Gel Set s’est retrouvé au Ministère de la Santé suite à un Don de la Sonatel. Valda est arrivé bien après. Gel Set est encore présent pour le Covid-19 depuis 2020 sous le label des Laboratoires Didy du Dr Pape Amadou Ndiaye à qui j’ai cédé l’affaire. Nous avons ainsi joué notre partition sans attendre d’être coopté ou associé par le MSAS. Ainsi le message que je lance aux pharmaciens d’officine c’est d’élargir nos connaissances avec effet sur nos compétences à travers les formations continues. Lesquelles devraient être obligatoires avant chaque réinscription l’Ordre des Pharmaciens et délivrance de la carte professionnelles annuelle.

De l’officine au conseil d’orientation de la der

Avec des amis, nous avons créé en 1997 une association pour assurer la surveillance des baignades à la plage de Mboro/mer pour prévenir les risques noyades. Nous avons alors étoffé nos objectifs avec le volet santé et éducation. Ensuite il y a eu un emballement. Je suis devenu Président de la Croix rouge de Mboro, Président du District de natation et de sauvetage. Puis avec le PALPICS (Projet d’Appui à la Lutte contre la Pauvreté des zone riveraines des ICS) on a hérité de la mise en place de classes d’alphabétisation puis du Projet de Santé Communautaire (Lutte contre le Sida). Pour les femmes et on s’est rendu compte c’est un outil stable de communication. On a un auditoire de 30 femmes pour 3 après-midi par semaine dans une école et dans ces classes on verse un fonds de crédit revolving de 100.000 F ou 150.000 F qui leur permettaient de faire des activités génératrices de revenus et cela participait à autonomiser ces femmes. Parallèlement nous avions un auditoire pour les sensibilisations sur le Sida et d’autres maladies (paludisme, cholera,…). Et quand le projet est terminé, j’ai cherché d’autres partenaires qui ont continué à financer ces classes. C’est dire donc que ces classes d’alphabétisation se sont transformées en pôle d’autonomisation des femmes en partenariat avec des structures de financement tant du privé que du public. Cela nous a conduit à avoir plus de 4.000 femmes autonomisées. L’association est devenue ONG en 2006 et deviens Agence d’exécution pour le BSR-OIT (BIT Dakar) pour le Programmes IPEC (Elimination des pires formes de travail des enfants) avec insertion des jeunes filles en couture, coiffure, artisanat.

Et comme je suis entré en politique en 2011, c’est donc arrivé dans l’oreille du président car en mai 2018 Mboro avait hérité de la journée de la femme à l’occasion de la quinzaine nationale de la femme et la Ministre a pu mesurer l’ampleur de mon implication au service des femmes et jeunes filles. Lorsque le président a créé une agence strictement dédiée aux femmes et aux jeunes, il m’y a nommé comme Président du Conseil d’Orientation pour apporter une touche très communautaire à l’action de la DER/FJ. Je travaille à la pharmacie à Mboro le lundi et mardi puis le mercredi, jeudi et vendredi matin je vais à Dakar pour assurer mes fonctions à la Der/fj. Après cela retour à la pharmacie le vendredi soir et samedi et éventuellement assurer la garde le week-end. J’ai deux assistants au niveau de la pharmacie, deux équipes qui alternent entre le matin et l’après-midi et ma femme est là pour gérer les opérations de caisse et versements à la banque.

Financements des jeunes pharmaciens au niveau de la DER/FJ

J’ai été beaucoup sollicité pour cela mais le souci est que la Der/fj ne finance pas des activités commerciales surtout de produits importés et malheureusement la pharmacie tombe dans ce groupe-là. Je dis aux pharmaciens de créer des initiatives de production. Par exemple, un groupe de pharmaciens peut créer une structure de production de sac à papier pour pharmacie ou de production de gel antiseptique entre autres. La DER/FJ c’est l’entreprenariat et non le commerce.

AÏSSATOU DIOP

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