Professeur Emmanuel Bassène : La formation des pharmaciens doit plus intégrer la pharmacopée
PROFIL – Edition n°17 – FEVRIER 2023
PR EMMANUEL BASSENE
PHARMACIEN – COORDONNATEUR DE LA CELLULE DE LAMEDECINE TRADITIONNELLE AU MINISTERE DE LA SANTE ET DE L’ACTION SOCIALE
« LA FORMATION DES PHARMACIENS DOIT PLUS INTEGRER LA PHARMACOPEE »
Professeur Emmanuel Bassène est pharmacien de profession. Sorti en 1978 à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Après l’internat en pharmacie de 1978 à 1980, il a obtenu le diplôme de DEA de chimie et biochimie des produits naturels qui lui a permis de préparer sa thèse d’Etat és-sciences pharmaceutiques qu’il a soutenu en 1985 sous l’encadrement du professeur Jean-Louis Pousset, un coopérant français. Après le départ du Pr Pousset, il a été envoyé à l’agrégation de pharmacognosie qu’il a eu en 1988 avant de prendre en charge le service de pharmacognosie et botanique. Enseignant de pharmacognosie jusqu’à sa retraite en 2018, il a été entre temps, en 2017, nommé coordonnateur de la Cellule de la médecine traditionnelle au ministère de la Santé et de l’Action sociale. Un poste qu’il occupe toujours. Professeur Bassène, a aussi fait un séjour hospitalier, puisqu’il a dirigé le laboratoire de biochimie du CHNU de Fann jusqu’à sa retraite. L’homme qui occupe une place importante dans l’organisation de la pratique de la médecine traditionnelle est notre Pharmacien du mois. La rédaction de médicalactu est allée à sa rencontre au ministère de la santé et de l’action sociale. Plusieurs questions lui ont été posées, des équivoques levées quant à la gestion de la médecine traditionnelle au Sénégal. Entretien…
Professeur, quelle est la différence entre tradipraticien et phytothérapeute ?
Le terme tradipraticien c’est l’OMS qui nous l’a imposé. Cela veut seulement dire que ceux qui pratiquent la tradition. Ces derniers peuvent opérer dans des secteurs divers et variés dont la menuiserie, la vannerie ou encore la médecine. Au Sénégal, l’association qui fédère les tradipraticiens s’appelle la fédération sénégalaise des praticiens de la médecine traditionnelle. L’appellation tradipraticien est un peu réducteur, trop général. Cela ne cible pas ceux à qui vous faites allusion à savoir ceux qui s’adonnent à la médecine traditionnelle. Maintenant, la phytothérapie s’est démarquée en France lorsque la chimiothérapie a envahi toute la médecine. La phytothérapie est la médecine moderne qui utilise des extraits végétaux dans lesquels on reconnaît la présence de principes actifs.
Est-ce qu’il y a un comité d’accréditation pour valider le savoir-faire des praticiens ?
La pratique de la médecine traditionnelle n’a pas intéressé le colonisateur lorsqu’il s’est amené au Sénégal. Ce qu’il a imposé ou développé c’est d’abord la phytothérapie européenne qui, jusqu’aux années 1960, utilisait des extraits végétaux. Les peuples des colonisés, avaient continué à pratiquer leur médecine, à fréquenter les praticiens de la médecine traditionnelle sans trop d’entraves. Toutefois, ce colonisateur s’est évertué à former d’autres acteurs de la médecine que nous sommes. Nous avons une profession médicale et pharmaceutique qui s’est installé dans le pays et s’est développé. Aujourd’hui, le besoin se fait sentir de faire participer les acteurs de médecine traditionnelle aux activités de l’Etat dans le secteur de la santé. Il faut dire aussi que l’Organisation mondiale de la santé a intéressé les pays à s’occuper de la médecine traditionnelle et à voir dans quelle mesure la réglementer. Mais, ce n’était pas une initiative de nos états ; car s’ils étaient les initiateurs, on aurait évolué très vite.
Au Sénégal, les décideurs ont choisi de faire une loi qui la réglemente. Cette loi a évolué jusqu’en 2017 où le Président de la République Macky Sall l’a fait adopter en conseil des ministres. A ce jour, cette loi n’est pas encore examinée à l’Assemblée nationale.
Y a-t-il une cacophonie dans la pratique avec l’envahissement de charlatans ?
Je ne peux pas dire qu’il n’y a pas de charlatan, mais c’est un phénomène normal. Tout comme dans la médecine moderne, on peut en rencontrer. Pour la médecine traditionnelle, on n’a pas d’outils pour mesurer leur poids dans la société. Ils sont nombreux, les Sénégalais qui se soignent chez ces derniers. D’abord, le fait de les nommer est une bonne chose. Maintenant, on a établi une norme pour le faire. Dans la société traditionnelle, les tradipraticiens sont reconnus par leur entourage. Nous avons commencé à les organiser sous forme d’associations qui se sont regroupé en fédération nationale, et on espère qu’entre eux, ils peuvent se reconnaitre.
Est-ce qu’on peut s’attendre à avoir des sirops à base de nos plantes dans les officines ?
J’ai été heureux de constater qu’il y a une loi dans le circuit qui est très avancé et qui a quitté la cour suprême concernant le médicament et la pharmacie. Après l’Agence de régulation pharmaceutique, (Arp), l’Etat va prendre une loi qui va remplacer le code de la santé publique et qui va régir la pharmacie et le médicament. Les initiateurs y ont intégré la pharmacopée du Sénégal. Je regrette que la formation des pharmaciens n’intègre pas assez la pharmacopée qui est le référentiel du pharmacien, mais insiste plutôt sur les lois. Cette démarche d’intégrer la pharmacopée dans la loi, sera une bonne chose pour la médecine traditionnelle. Dans une pharmacopée, on trouve les monographies de tout ce qui est utilisé pour préparer le médicament, à commencer par les plantes.
Aujourd’hui, après avoir recensé les plantes qui peuvent être utilisées dans les soins, il faut dire comment les utiliser. La pharmacopée donne une garantie étatique concernant les espèces de plantes, cependant, il reste le problème du fabriquant dans la médecine traditionnelle. Qui sera habilité à préparer des médicaments pour le grand public ? C’est là où il faut mettre les discussions.
Y a-t-il une conformité entre l’enseignement et les réalités du pays ?
Je pense qu’il faut d’abord commencer à rendre hommage à nos maîtres. Les blancs ne pouvaient faire que ce qu’ils ont fait par rapport à leur vision. Maintenant, nous avons pris notre indépendance, nous ne pouvons pas continuer à faire exactement ce que les blancs ont fait. Là où, on pourrait pêcher, c’est de ne pas évoluer par rapport à nos sociétés. Les Français nous ont légué leur pharmacopée avec les plantes qu’ils avaient retenues. Cette pharmacopée a été nourrie par des plantes de leur terroir. Mais nous, lorsqu’on a eu notre souveraineté, on devait avoir non seulement le même modèle, mais continuer à inscrire des plantes qu’on a hérité de notre médecine traditionnelle. On ne peut pas imaginer avoir de quoi soigner sur place et ne pas l‘utiliser et j’espère que c’est cela qui va être corrigé rapidement, j’ai espoir.
Le déclic doit venir d’où ?
Le développement, c’est soit l’Etat qui impose la manière de faire, soit ceux qui ont les moyens, à savoir le secteur privé qui peut influer sur les décisions. En finançant les projets de recherches et des activités, le secteur privés peut arriver à changer la donne. Pour les programmes, on a créé récemment, l’association des professeurs de pharmacognosie de l’Afrique de l’Ouest. On va changer les programmes en intégrant des plantes qui sont de chez nous. Moi, je l’ai commencé avant de quitter le département à l’université. J’ai introduit l’Artemisia dans le programme depuis cinq ou six ans, il me restait à introduire le nguer et d’autres plantes. Les programmes doivent être secrétés par les pratiques de la société.
Qu’en est-il de la loi sur la médecine traditionnelle ?
En 2017, lors Le ministre Awa Marie Coll Seck m’avait nommé au poste de coordonnateur de la Cellule de la médecine taditionnelle, elle avait mis à ma disposition le draft de la loi pour mettre mes imputs avant qu’elle ne soit transmis en conseil des ministres.
Malheureusement, le projet de loi était déjà sur la table du Conseil. La meilleure chose serait de la retirer du circuit. Or, c’était périlleux car vous ne savez même pas s’il pourrait revenir dans le circuit. J’ai préparé une rectification, car il faut dire qu’au début avec le Dr Dia, nous étions impliqués, après ils ont fait de l’administration. Il y a un certain nombre de modifications qu’on avait suggéré, par exemple dans l’exposé des motifs, tenir compte des avancées des recherches à l’université qui confortent les besoins de la société.
On a finalement laissé le texte poursuivre son chemin pour être transmis à l’Assemblée nationale. Mais, toute de suite, on a eu la réaction de l’inter-ordre des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes. L’argument était entre autres que les ordres n’avaient pas été associés lors de l’élaboration de la loi. Je peux affirmer qu’ils étaient au courant du processus qui a duré au moins 20 ans ! Cela ne les intéressait peut-être pas. J’ai pu constater la politique de la « chaise vide » pratiquée par les ordres dans toutes les réunions organisées sur la médecine traditionnelle, y compris celles organisées par l’OOAS (Organisation ouest-africaine de santé) au Sénégal. Cela m’a très déçu concernant l’ordre des pharmaciens ! Il faut reconnaitre pour ce qui concerne la loi, qu’elle est loin d’être parfaite. Ce n’est pas grave mais une loi cela se révise. La loi telle que je l’ai étudiée n’instaure pas une profession.
Souvent les gens confondent cette loi avec le développement de la phytothérapie, qui est de la médecine moderne. Elle n’a pas besoin de loi, car se réfère sur celle qui régit la médecine ou la pharmacie, sauf le problème de l’AMM se pose.
Est-ce qu’on peut avoir une idée du contenu de cette loi ?
Dans cette loi, c’est la pratique de la médecine traditionnelle qui est concernée. Il s’agit de la réguler. Il y a aussi des sanctions dans un cadre assez général.
Qu’en est-il de la formation avec le système LMD ?
Quand le système LMD est venu, on nous l’a imposé. C’est une bonne chose. Quand tu entres dans le curricula du pharmacien, il n’y a que des cycles. On ne donne pas de diplômes en cours de cycle mais quand même on s’est adapté. Mais cela ne correspond pas à des diplômes en pharmacie et en médecine. Quand je créais des formations de licence et de master, je suis le seul à mettre en place une licence en herboristerie qui est accessible au pharmacien, au médecin et à l’étudiant qui a terminé sa deuxième année. Un master en phytothérapie et cosmétique a été aussi mis en place. En ce moment toutes les formations du master sont des formations en dehors du diplôme de pharmacien. Là où, on va évoluer de manière substantielle, c’est vers un cursus qui va permettre d’acquérir des diplômes de licences et de masters professionnels ou de recherche au cours du parcours, le doctorat serait l’ultime étape.
Denise ZAROUR MEDANG