Le pharmacien Dr Ndiaye Sall parle de la lutte contre le marché illicite des médicaments et des accusations envers les religieux
PROFIL – Edition n°7 – Mai 2021
DR NDIAYE SALL
PHARMACIEN – DIOURBEL
ACCUSATIONS SUR LA GESTION DU MARCHE ILLICITE PAR DES RELIGIEUX
« JE N’AI JAMAIS RENCONTRE UN MARABOUT IMPLIQUE PERSONNELLEMENT DANS CE SECTEUR »
Dr Ndiaye Sall, pharmacien d’officine installé à Diourbel depuis plus deux décennies, est le pharmacien du mois du magazine Médical Actu. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il est revenu largement sur son parcours, les difficultés que rencontre la profession pharmaceutique, en passant par le marché illicite des médicaments et ceux qui le gèrent, jusqu’à l’affaire Woury Diallo. Il en a profité également pour parler de la convention medicrime que le gouvernement du Sénégal tarde toujours à ratifier, après signature.
Parcours dans la profession et au niveau de l’Ordre national des pharmaciens du Sénégal
Sur ma vie professionnelle, je suis pharmacien d’officine installé à Diourbel où j’ai dirigé le Regroupement des pharmaciens pendant dix (10) ans. Ensuite j’ai intégré l’Ordre des pharmaciens, en particulier le Conseil de section B, je suis là-bas depuis 12 ans. J’ai été membre du bureau du conseil, avant de devenir vice-président et ensuite président du Conseil de section B. Aujourd’hui je suis devenu à nouveau membre simple de ce dit Conseil. Donc, cela fait bientôt un quart de siècle que je travaille ici au service de la profession, d’abord avec l’équipe des pharmaciens de la région et ensuite au niveau de l’Ordre des pharmaciens du Sénégal.
Organisation de la profession et lutte contre le trafic de médicaments à Diourbel
Le secteur syndical de la région de Diourbel et généralement les pharmaciens sont bien organisés. Il y a un Regroupement qui est bien structuré et qui est fonctionnel depuis très longtemps. Comme je vous l’ai dit tantôt, je l’ai dirigé pendant dix (10) ans et depuis plus d’une décennie, cette organisation continue à fonctionner à merveille. Ce Regroupement s’est distingué dans la lutte contre le marché illicite du médicament. Comme vous le savez, notre région est une zone de prédilection de ce marché illicite. Mais, ce marché illicite a d’autres embranchements aussi au niveau de tous les pays surtout de la sous-région Ouest africaine. Et la lutte contre ce marché illicite constitue une des actions phares de cette association. Ainsi, cela nous a valu des résultats extraordinaires. Comme vous le savez, Il y a quelques années, une grande saisie de la gendarmerie de plus de 1,3 milliard francs CFA de médicaments a eu lieu. À ce niveau aussi, le regroupement s’est illustré. Et l’Ordre des pharmaciens et le Syndicat se sont également investis avec des actions qui nous ont valu beaucoup de résultats et de satisfactions.
Supposée accusation des marabouts sur le trafic des médicaments
Je ne peux pas le confirmer, ni l’affirmer. Comme je l’ai dit, moi-même je suis domicilié à Touba. Mais, je n’ai jamais rencontré un marabout impliqué personnellement dans le marché de médicaments illicites. La plupart du temps, ce sont des commerçants et d’autres qui se sont investis dans le secteur. Ce sont eux qui gèrent cette activité commerciale et en font leur gagne-pain. Bien que je ne pourrais écarter cette thèse. Il peut y avoir qu’à même une complicité avec d’autres personnes, que ce soit des marabouts, des pharmaciens, ou d’autres personnes. Cette complicité-là peut belle et bien avoir lieu. Mais ceux qui s’activent dans ce marché, si on peut le dire, ce sont pour la plupart des commerçants qui établissent leurs magasins et en tirent les bénéfices.
Dépôts illicites de médicaments et pharmacies cohabitent à Touba
Je pense que de plus en plus et depuis plus de dix ans, les pharmaciens viennent s’installer dans la ville sainte (Touba) et cela participe à la lutte contre ce marché illicite. Parce que, c’est un phénomène qui est très difficile à éradiquer. Donc, l’installation régulière de pharmaciens qui eux-mêmes s’investissent dans le combat par l’information, par la qualité de service, leur expertise, fera forcément la différence avec les dépôts illicites. Et de plus en plus les populations sont éveillées. Il y a également, une campagne de sensibilisation qui est menée par les pharmaciens eux-mêmes installés dans la région pour faire la différence entre les dépôts et les pharmaciens régulièrement installés.
Nombre d’officines à Touba et leurs chiffres d’affaires
Il y a actuellement environ 44 à 45 officines installées à Touba. A côté, il y a entre 200 et 250 dépôts de pharmacie recensés. Ce qui est une difficulté pour la profession de pharmacie. Mais, avec l’installation des pharmaciens à Touba, il y a un recul des dépôts, même s’ils existent toujours, ils n’ont pas cette vitalité d’avant. Je pense qu’avec le temps, l’état prendra ses responsabilités pour fermer tous ces dépôts.
Membre de la Section B de l’Ordre des pharmaciens du Sénégal, les problèmes rencontrés
Nous rencontrons beaucoup de problèmes à ce niveau. Ceux-ci surviennent dans la banlieue dakaroise et un peu dans le département de Rufisque, à Keur-Massar lors des visites de sites. Il y a un mois aussi, on avait des visites de sites à faire dans la région de Thiès, en particulier dans la ville de Mbour. Ces visites constituent aussi, une des activités phares du conseil de Section B. la visite de site consiste à aller sur place et constater de visu, la conformité entre ce qui est déclaré par le pharmacien sur le dossier et la réalité sur le terrain. Les difficultés que l’on rencontre sur le terrain sont surtout liées à la distance qui est très difficile au niveau de la capitale. Le deuxième point aussi, c’est la difficulté de disposer des locaux qui sont conformes aux exigences d’une pharmacie. Et souvent aussi, les plans de masse ou les plans des locaux qui sont présentés par les pharmaciens ne correspondent pas à la réalité. Ce qui crée énormément de désagréments. Ensuite, l’Ordre n’a pas de véhicule de fonction. Les pharmaciens qui sont au niveau du Conseil de section B sont obligés de se déplacer souvent avec leur propre véhicule pour effectuer ces visites de sites, surtout si c’est dans des zones enclavées ou dans des zones très éloignées, comme dans les régions périphériques de Tambacounda, Sédhiou, Kédougou et de Matam. Pour toutes ces zones-là, les pharmaciens qui sont au niveau du Conseil sont obligés de faire le déplacement souvent avec beaucoup de difficultés.
Appréciation sur l’affaire
Woury Diallo condamné, puis gracié dans la foulée par le chef de l’État
Dans cette affaire-là, c’est moi-même qui avais représenté l’Ordre des pharmaciens au niveau des Tribunaux. C’est une affaire qui avait démarré au niveau du Tribunal de première instance de Diourbel, avant de venir à la Cour d’appel de Thiès pour ensuite atterrir à la Cour Suprême. Ce qu’il faut dire, c’est que dans toutes ces juridictions, pratiquement la décision qui est rendue en première instance a été confirmée. Le principal acteur est en détention. Il a été emprisonné pour sept ans. Il y a eu également Amadou Woury Diallo qui a été condamné. Mais, comme tout le monde le sait, il a bénéficié d’une grâce présidentielle. Cependant les Tribunaux, le Tribunal de Thiès, en particulier, a maintenu la décision. Il est hors du pays et on ne peut pas mettre la main sur lui, même si la décision de justice reste de rigueur.
Rencontre du 4 juin 2019 avec le chef de l’État Macky Sall et la Convention medicrime
Cette rencontre avec le président de la République était un moment très important dans la vie de la profession. Comme vous le savez, avec l’affaire des faux médicaments de Touba Bélel et l’affaire de Woury Diallo, la profession pharmaceutique s’est engagée à faire une journée de baisse des rideaux. Et avec l’effort de l’État, une audience nous est accordée à l’issu de laquelle, il y a effectivement des solutions qui ont été proposées. L’une des propositions, c’est de revoir les textes de la profession, la criminalisation de l’exercice illégale de la profession de pharmacie. C’est dans ce sens que l’idée de la Convention medicrime nous est venue en tête. Mais, il faut reconnaître que cela va faire bientôt deux ans qu’on pas encore vu le bout du tunnel. La révision des textes a été démarrée. Je pense qu’à ce niveau les lenteurs observées pour la finalisation de la révision des textes est du fait de la profession. Et effectivement nous sommes à la fin. L’autre volet, c’est la signature de la Convention medicrime qui est déjà faite au niveau de l’Etat. Il ne reste maintenant que la ratification et peut-être la mise en œuvre de cette décision de criminalisation de l’exercice illégale de la pharmacie.
Problèmes des pharmaciens des régions sur le plan professionnel
Les problèmes que vivent les pharmaciens des régions sont pratiquement les mêmes chez tous les pharmaciens du Sénégal. C’est le marché illicite des médicaments. En dehors de la région de Diourbel, il en existe à Dakar et comme points de vente, il y a Kër Serigne-bi, Thiaroye et d’autres points qui sont disséminés. Il y a aussi d’autres points de vente à Kaolack, Tambacounda et à Diaobé et dans les Loumas (marchés hebdomadaires). C’est un problème que vivent tous les pharmaciens. Il y a ensuite les dérives de l’initiative de Bamako qui constitue une concurrence déloyale, une pléthore de pharmacies qui existent. Si on fait la comparaison entre le Sénégal et les autres pays, on se rend compte que dans ce pays, il y a beaucoup plus de pharmacies qu’il en faut. Cette situation se répercute sur la viabilité et la vitalité des officines. Et en dehors de cela, il y a les charges de fonctionnement, comme la fiscalité, qui continuent à grimper, au moment où la marge du pharmacien est restée à l’état. Depuis 1994, la marge n’a pas évolué. Alors que les charges de fonctionnalité en particulier la fiscalité a connu une hausse. En dehors de ces difficultés, il y a l’insécurité car beaucoup de pharmacies ont fait l’objet de braquage avec beaucoup de conséquences. Il y a certains braquages où il y eu même mort d’homme soit le pharmacien ou l’un de ses collaborateurs. Comme c’est le cas à Dakar et dans la région de Saint-Louis. Ces fléaux constituent une préoccupation des pharmaciens parmi tant d’autres.
IDRISSA NYASSI