Dr Khady Cissé : Une voix de leadership dans l’industrie pharmaceutique sénégalaise
PROFIL – Edition n°16 – DECEMBRE 2022
DR KHADY CISSE
Titulaire de la pharmacie « OCEAN »
POUR LA RECONNAISSANCE DU SECTEUR PRIVE
Dr Khady Cissé est titulaire de la pharmacie « Océan ». Femme de conviction, et Syndicaliste, elle a été au cœur des combats pour l’éradication de la vente illicite des médicaments. Au sein de son officine, ses employés, la décrivent comme quelqu’un de sociable, une éducatrice, une formatrice. Le monde de l’industrie pharmaceutique ne lui est pas étranger Dr Khady Cissé connait bien le secteur. « J’ai travaillé dans l’industrie pharmaceutique pendant douze années avant de m’installer en officine en 2008. » En 1997, elle a été recrutée à Synthélabo. « Cette expérience m’a permis de voir une autre facette du médicament dans sa fabrication, son homologation et sa promotion. Cela m’a vraiment donné l’expérience du terrain parce que j’étais déléguée médicale. Après deux ans j’ai été nommée superviseur pour le Sénégal et la Mauritanie jusqu’en 2004 avec la fusion Sanofi-Synthelabo », a-t-elle avancé. Et de poursuivre : « En 2005 avec la fusion de Sanofi et Aventis j’ai été nommée coordinatrice des Affaires réglementaires dans la zone du Sahel et là je m’occupais des dossiers réglementaires dans 5 pays du sahel pour l’homologation des produits de Sanofi et la validation des éléments de la direction marketing du laboratoire. » Infatigable défenseur des bonnes causes de sa profession, elle est membre de l’Alliance du secteur privé de la santé du Sénégal (ASPS). Docteur Khady Cissé, ancienne présidente du Syndicat des pharmaciens du Sénégal est notre « Pharmacienne du mois ». Dans Médical Actu, elle aborde avec nous plusieurs questions d’actualités pour des lendemains meilleurs de la profession pharmaceutique.
BILAN DE VOTRE MAGISTERE AU SEIN DU SYNDICAT
J’ai eu une dizaine d’années de militantisme syndical. Dès que je me suis installée en 2008 en officine, je me suis proposée à être membre du bureau du syndicat. Lors du renouvellement du bureau il s’est trouvé que le poste de SG adjoint n’était pas pourvu. Le président et le secrétaire m’ont demandé de postuler. Je remercie le syndicat des pharmaciens privé du Sénégal. J’ai eu à profiter de l’expérience du Docteur Cheikh Diaw alors secrétaire général, j’ai fait mes premières armes avec lui, sous la supervision du Docteur Aboubakrine Sarr président du syndicat en cette période. Je profite de l’occasion pour le remercier et lui renouveller ma profonde reconnaissance. Je fus ensuite secrétaire générale après le départ du Dr Diaw pour des besoins de formation.
A la fin du mandat du Dr Sarr en 2015 je lui succède comme président, mais avec la seule condition pour moi de faire un seul mandat 2015-2017. Pendant ces années les mêmes problèmes de vente illicite de médicaments, de marché parallèle restaient toujours d’actualité. Des quantités importantes de faux médicaments ont été interceptées par nos forces de défenses. On se rappelle la fameuse saisie de Touba Belel qui représentait plus d’un milliard cinq cent millions de francs Cfa. Le syndicat avec l’appui et l’adhésion de tous les pharmaciens privés du Sénégal ont fait front et ont demandé à l’état du Sénégal l’éradication définitive de ce fléau.
Ce fut la 2ème baisse de rideaux des pharmacies privées de 8h à 15h sur l’ensemble du territoire. Une plateforme revendicative fut déposée avec différents points de revendications entre autres l’élimination des points de vente illicites, la création du corps des inspecteurs de pharmacie, la ratification de la loi Médicrime parce qu’on ne peut pas comprendre que le vol de bétail soit criminalisé et que la vente de faux médicaments ne le soit pas. Cette baisse de rideaux a eu un succès retentissant. Les populations nous ont compris. Si vous voyez bien, nous le faisions que sur 8 heures jamais sur 24h. Les pharmacies privées représentent 80% du chiffre d’affaires du médicament. Quand on fait une action cela se répercute automatiquement sur les populations et l’Etat le comprend et nous invite à la négociation.
ETAT DES LIEUX DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE
Il n’y avait pas suffisamment d’industries pharmaceutiques au Sénégal, mais des filiales comme Pfizer, Sanofi et Valdafrique à une moindre échelle. Cela ne suffisait pas pour alimenter le marché sénégalais et sous régional. Avec les difficultés du monde pharmaceutique, l’avènement de la Covid-19, la rupture de matières premières dans les pays asiatiques, certaines grosses structures qui avaient des filiales dans le pays ont décidé de fermer. C’est le cas de Pfizer ensuite de Winthrop la souveraineté pharmaceutique s’est avérée urgente et nécessaire. Le Sénégal en a fait le constat. Des pharmaciens sénégalais ont commencé à réfléchir sur le développement de l’industrie avec des capitaux propres. Ils ont décidé de se mettre ensemble pour mettre quelque chose en place.
LE DECLIC DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE AU SENEGAL
De ces réflexions sur le développement de l’industrie pharmaceutique locale sont nés Socafi et Teranga-pharma ; ce dernier dont la production a commencé, approvisionne le secteur public et les grossistes privés au Sénégal et dans la sous-région. Le projet Socafi est en bonne voie car bientôt la production va démarrer. On a eu aussi Medis, un fabricant Tunisien qui a racheté la filiale Winthrop de Sanofi. Cette unité a connu des difficultés parce qu’elle avait un portefeuille de références à produire et il y a eu un retard pour l’obtention des autorisations de mise sur le marché (AMM), et aussi des problèmes dans la politique sociale de l’entreprise qui s’est traduite par un arrêt de la production qui a impacté le Sénégal et les pays limitrophes sur certaines références comme le Doliprane. Il y a eu des ruptures que nous avons ressenties au niveau des officines. Aujourd’hui, avec des promesses fermes de l’Etat, Médis redémarre.
INSTITUT PASTEUR, LE GROS BONNET DU FINANCEMENT
Je pense que dès qu’on parle de l’Institut Pasteur on parle de vaccin. Cet institut a fait ses preuves dans le domaine de production de vaccin contre la fièvre jaune. Il est l’un des rares instituts à pourvoir toute la population mondiale en vaccin anti- amarile. Donc l’expertise est là. Quand il s’est agi d’acheter les vaccins contre la Covid-19 les pays en développement ont éprouvé beaucoup de difficultés à s’approvisionner. C’était le cas du Sénégal qui a pensé qu’en dotant l’institut Pasteur de plus de moyens financiers et techniques, l’expertise étant là, on pourrait produire ces vaccins à moindre coût pour les pays pauvres. Ceci a motivé les investissements avec l’accord de l’OMS et de l’Union Africaine pour que le Sénégal soit aussi un site de production en plus de l’Afrique du Sud pour les vaccins contre la Covid-19.
L’AGENCE DE REGULATION PHARMACEUTIQUE POUR REGLER LES PROBLEMES DANS LE SECTEUR
Nous avons eu à réclamer lors de nos rencontres avec le ministre de la santé et de l’action sociale d’alors Dr Awa Marie Coll Seck que la Direction de la Pharmacie et du Médicament s’érige en Agence de régulation du médicament. Sur recommandation de l’Union africaine et de l’UEMOA. C’est seulement en 2021 que cela s’est finalement fait. L’Agence de régulation pharmaceutique est née. Il y a eu des pays qui nous précédé dans ce processus comme la Côte d’Ivoire, le Burkina. Ils ont eu leur agence avant le Sénégal. Pourtant le Sénégal était souvent la locomotive en termes de réformes. Aujourd’hui, on a l’ARP et on pense que toutes les questions réglementaires qui n’ont pas été réglées depuis, devront être prises en charge par l’Agence. Qui dit Agence dit autonomie parce que souvent la DPM se plaignait d’un manque de moyens financiers et de ressources humaines pour jouer pleinement son rôle. Les commissions d’AMM, ne pouvaient se tenir conformément au calendrier établi par manque de moyens pour payer les experts qui siégeaient lors des commissions. Les inspecteurs ne pouvaient pas toujours effectuer les missions d’inspection au niveau des officines de pharmacie ou des laboratoires de biologie médicale.
Les pharmaciens vus de l’extérieur
On a bien expliqué aux populations le rôle du pharmacien et je pense que la perception du pharmacien commerçant est révolue. Le pharmacien est l’acteur de santé le plus proche des populations. Je vous assure que le pharmacien d’officine par cette proximité qu’il a avec les populations, conseille ou règle d’autres problèmes en dehors de la délivrance de médicaments. Nous intervenons dans l’orientation scolaire de leur enfant, dans les problèmes matrimoniaux, etc. En termes de counseling dans le cadre des maladies chroniques, le pharmacien est là pour rappeler au patient la bonne compliance de son traitement, la surveillance de la glycémie à titre indicatif, prendre le temps de bien expliquer la pathologie et les exigences d’ un traitement efficace, et j’en passe.
On est vraiment un conseiller auprès du client qui a une confiance totale en son pharmacien. C’est pour cela qu’on parle de nouvelles orientations professionnelles du pharmacien d’officine. Des réflexions sont en cours au tour de la mise à disposition du DMPA sous cutané en officine avec la direction de la santé mère enfant (DSME) du MSAS sur comment le pharmacien d’officine peut aider à la vaccination. Et si on prend l’exemple de la France pendant la Covid-19, ce sont les pharmaciens qui les ont tirés d’affaire pour la vaccination. Les gens faisaient la queue pendant des heures pour se faire vacciner et quand on a mis le vaccin à disposition au niveau des officines, il y a eu l’apport positif du pharmacien qui est apte à faire une injection parce qu’ayant été formé en soins infirmiers et capable de sensibiliser à la vaccination.
LUTTE CONTRE LA VENTE ILLICITE ET PARALLELE DE MEDICAMENTS
Cela était un point de lutte des différents bureaux du syndicat. On l’a fait avec les moyens du bord. On discutait avec les autorités mais, on sentait toujours un manque de volonté de l’Etat. On sait que le médicament est un poison quand il est mis entre les mains de profanes, quand il est mal conservé, mal délivré, il devient un élément de mésusage. Le vœu des différents bureaux du syndicat est l’éradication de tous les points de vente illicite de médicaments. Ces points que nous connaissons tous en commençant d’abord par Touba où on voit de visu une pharmacie régulièrement installée, entourée de plusieurs dépôts aussi illégaux les uns que les autres. On s’est plaint auprès des autorités religieuses, là aussi on attendait une aide de leur côté, on a eu une oreille attentive des fois, mais cela n’a pas changé les choses. Des descentes au niveau de Kër Serigne-bi à Dakar, et dans certains loumas par les forces de l’ordre ont été effectuées, mais le problème reste entier. A Kër Serigne-bi à l’intérieur même, il n’y a pas de médicaments mais aux alentours oui, les magasins continuent à stocker.
RECRUDESCENCE DES MARCHES PARALLELES
Avant, c’est Dakar qui alimentait les autres régions maintenant c’est l’inverse. Les faux médicaments entrent par les frontières qui sont poreuses quoi qu’on dise malgré l’aide de la douane, de la gendarmerie qui font un travail remarquable avec la saisine des tonnes et des tonnes de médicaments. De plus en plus, on saisit des quantités importantes de médicaments et en termes d’argent c’est des milliards. On ne remonte pas suffisamment la chaine pour prendre les coupables. L’Etat est en train de faire le travail au niveau des frontières mais le problème reste entier. Maintenant on se rend compte que c’est à partir des frontières que les faux médicaments entrent sur le territoire et ce sont les villes secondaires qui ravitaillent Dakar.
RELATION GROSSISTES-PHARMACIENS
Depuis l’industrie qui fabrique, le laboratoire qui promeut, le grossiste qui met en place et le pharmacien qui dispense, c’est toute une chaine. Donc quand il y a un problème au niveau d’un des maillons, il y a un problème sur toute la chaine. Nous pharmaciens, nous sommes des partenaires des grossistes car, la réglementation pharmaceutique du médicament est claire au Sénégal ce qui n’est pas la même chose dans les pays limitrophes. Au Sénégal, le pharmacien d’officine ne peut s’approvisionner qu’auprès des grossistes répartiteurs qui ont un cahier de charge. Nous avons quatre grossistes répartiteurs avec lesquels tous les pharmaciens d’officines privés collaborent. Il se trouve que lorsqu’il y a un problème au niveau du médicament, le grossiste le ressent ainsi que le pharmacien d’officine par ricochet.
LES GROSSISTES POUR UNE HAUSSE DE L’OFFRE
Depuis la dévaluation du Cfa en 1994, les pharmaciens d’officine avaient accepté la baisse de leur marge pratiquement de 40 à 29% et l’Etat en ce moment avait promis à nos ainés qu’au bout de deux ans la marge serait rétablie nous étions les seuls acteurs à accepter cette baisse de marge. Depuis lors rien a bougé, on est resté sur la même structure de prix. Cela a été un point de discussion assez corsé entre le syndicat et le ministère du Commerce.
En ce moment il y a un petit souci avec les grossistes au sujet de la facturation des étiquettes aux pharmaciens. La situation mondiale impacte tout le monde. En ce moment, les coûts du fret sont passés du simple au triple voire quadruple. Une situation qui a expliqué la majoration des prix sur tous les produits et le médicament en fait partie. Ce n’est pas pour rien que l’Etat a appliqué cette politique de baisse des prix des produits de première nécessité parce que les populations l’ont réclamée. On n’a pas encore touché à la structure du prix du médicament, mais on sait que l’Etat y travaille ; car le Président de la République, lors de sa grande concertation avec les acteurs du commerce, a dit : « On reviendra sur les produits de la santé. »
Mais l’un dans l’autre avec le renchérissement du coût du fret, l’augmentation du prix du papier, les grossistes se trouvent devant une situation de majoration des charges. Le prix du médicament étant homologué, le prix de cession du médicament aux pharmaciens privés ne peut être majoré. Face à cette situation, de facturation des étiquettes aux officines à 3 francs l’unité, le pharmacien est mis devant le fait accompli, ce que refuse le syndicat. Des discussions se mènent en ce moment pour trouver un terrain d’entente. Le ministère de la Santé représenté par l’ARP, le syndicat et l’ordre sont en train de discuter avec les grossistes pour qu’ils revoient le prix de l’étiquette à la baisse. On se désole d’avoir reçu l’information comme ça et c’est pour cela que les instances de la profession, la rejettent. Il fallait que les grossistes en discutent avant, au lieu de le leur imposer.
LE PROBLEME DES RETOURS
Les retours sont un véritable problème. C’est un autre grief des pharmaciens reproché aux grossistes-répartiteurs qui prennent des décisions unilatérales et les mettent devant le fait accompli. Les retours ont été un gros problème depuis l’année dernière. Les délais de retour ont été réduits de manière drastique. Délais de retour de trois jours pour Dakar, sept jours pour les régions. En fait il y a des pharmaciens qui prenaient de grosses commandes en cours d’année et en décembre ils renvoyaient tout le stock invendu. Dès fois, c’était des montants effarants. Maintenant qu’on a des logiciels de gestion de stock, le pharmacien connait le niveau de sortie de chaque référence. Partant de là, il peut connaitre les statistiques de sortie pour chaque produit. Si j’en sors 20 par mois, je ne vais pas commander 500 car je suis sûr d’être en sur-stockage. Je bloque ce produit dans mon officine, je ne le vends pas, peut-être d‘autres en ont besoin.
POINT DE VUE DE L’EVOLUTION DE LA PROFESSION
Je voudrais juste rappeler, l’existence de l’ASPS (l’Alliance du secteur privé du Sénégal). Les pharmaciens d’officine, mais aussi ceux des laboratoires de biologie médicale sont partie prenante de l’alliance du secteur privé par leur syndicat et association. Le MSAS sous la requête de la Banque Mondiale a décidé de mettre ensemble tous les acteurs du privé qui interviennent dans la santé. Car le ministère de la santé c’est le public mais aussi le privé.
Au quotidien, nous produisons des données qui ne sont pas prises en compte dans le système d’information sanitaire au niveau du ministère. Tout ce qu’on donne comme chiffre en termes d’atteinte d’objectifs pour les ODD, ne sont pas fiables parce que n’intégrant pas ceux du privé. Le secteur privé offre 48% des soins de santé au Sénégal avec 3 305 structures privées ce qui n’est pas une chose à négliger. Nous avons 95 000 consultations par semaine, 80% des 160 milliards de chiffre d’affaire du médicament proviennent du secteur privé. L’ASPS intervient dorénavant dans toutes les politiques de santé.
Denise ZAROUR MEDANG