Dakar, un pas vers la souveraineté pharmaceutique en Afrique et Assainissement du marché
FORUM PHARMACEUTIQUE INTERNATIONAL
Dakar, un pas vers la souveraineté pharmaceutique en Afrique
Dakar accueille la 22ème édition du Forum pharmaceutique international (FPI) du 1er au 4 juin prochains. Quelques 25 pays d’Afrique seront représentés à ce rendez-vous qui réunira un millier de participants pour discuter du thème de la « Souveraineté pharmaceutique pour l’Afrique : défis et opportunités ». En prélude à cet évènement, le comité d’organisation a fait face à la presse jeudi 13 avril. Une rencontre au cours de laquelle des freins au développement de l’industrie pharmaceutique pour l’Afrique et par l’Afrique elle-même ont été identifiés et des pistes de solutions dégagées en vue de la souveraineté pharmaceutique de l’Afrique.
Pour commencer, le président du Conseil national de l’Ordre des Pharmaciens du Sénégal, Dr Amath Niang pointe la question de la préservation et de la valorisation de la matière première. « On ne peut pas parler de médicament sans parler de matières premières et l’une des opportunités les plus importantes par rapport à l’Afrique, c’est le fait qu’elle soit pourvue d’une flore et d’une faune qui sont véritablement des greniers de matières premières », a-t-il fait observer. Mais il pense que cette disponibilité doit être soutenue par deux leviers fondamentaux, dont le premier est relatif à la recherche. « Il faut une promotion de la recherche. La fabrication de médicaments tient compte de trois exigences majeures que sont : l’expertise analytique, l’expertise psychologique et l’expertise pharmaceutique et c’est en ce moment-là que nous travaillons en parfaite collaboration avec la médecine traditionnelle », a expliqué Dr Niang.
Dans tous les cas, le Conseil national de l’ordre des pharmaciens invite les pratiquants de la médecine traditionnelle à accepter le principe d’aller vers des procédés scientifiques qui pourront leur permettre de répondre convenablement à ces exigences. « On ne peut pas concevoir une médecine traditionnelle basée sur des procédés empiriques », a-t-il insisté. Là-dessus, le professionnel du médicament estime que l’Etat doit mener des actions pour que les pratiquants de la médecine traditionnelle puissent venir à bout de leur ambition du point de vue de la fabrication locale de médicaments. « Il y a même des molécules qui sont ciblées dans ce sens et qu’à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le Lab a prévu des modules de formation dans ce sens », a-t-il révélé.
La place de l’université dans la fourniture d’équipements et de personnels compétents
A cette question de la disponibilité des matières premières en Afrique, le représentant du Doyen de la Faculté de médecine de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pense qu’il y a deux autres leviers importants à actionner pour développer l’industrie pharmaceutique sur le continent. Il s’agit des équipements et des ressources humaines. Par rapport aux équipements, Pr Madièye Guèye a estimé qu’il est important que l’Université et les instituts arrivent à être en mesure de pouvoir fournir des pièces qui entrent dans la chaine de production. « Cela est possible car nous avons des instituts comme l’école polytechnique qui sont capables de faire fonctionner des machines à partir de commandes numériques et de produire des pièces détachées qui peuvent aller dans l’industrie pharmaceutique », a-t-il fait savoir.
Pour ce qui est des ressources humaines, a-t-il poursuivi, il est important qu’on puisse former du personnel de qualité qui va intervenir dans la vie du médicament. « Maintenant, les pharmaciens doivent se tourner vers des formations de pharmaciens-logisticiens, de pharmaciens-qualiticiens », a-t-il préconisé.
A noter que l’édition de Dakar verra des sommités des universités d’Afrique (enseignants et chercheurs), des règlementaires, des biologistes, des industriels, des grossistes-répartiteurs, des Ong, des partenaires techniques et financiers, des officinaux, des étudiants venant d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique.
L’assainissement du marché, un sérieux préalable
Que tous les contrevenants se le tiennent pour dit : Le Forum Pharmaceutique International s’érige en bouclier contre le trafic de faux médicaments. Dr Amath Niang soutient que cela n’existe pas en Europe et dans les pays du Maghreb. « La volonté du développement de l’industrie pharmaceutique tient compte de l’assainissement du marché. L’industrie pharmaceutique ne peut pas cohabiter avec les médicaments de la rue. Ça non », a-t-il objecté. Le FPI, a-t-il signalé, a déjà permis la création de l’Agence africaine du médicament ; laquelle, dit-il, sera soutenue par des revendications plus fortes pour qu’elle soit reconnue au niveau de l’Union africaine. « C’est important qu’elle soit dotée de beaucoup plus de statuts et de reconnaissances pour que sa voix puisse prévaloir par rapport à l’ambition et la direction que nous voulons dans le secteur de la pharmacie. Mais sachez que les africains ne peuvent continuer à être victimes du fléau que constituent les médicaments de la rue », a martelé Dr Niang.
L’absence de volonté politique à l’index
Dotée d’une flore et d’une faune, l’Afrique n’arrive pourtant pas à se développer sur le plan de l’industrie pharmaceutique. La raison se trouve dans l’absence de volonté de l’autorité politique, aux yeux du président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens. « Ce n’est qu’une question de volonté. Il n’y a pas autre chose, il ne faut pas qu’on se voile la face », a déclaré Dr Amath Niang. A l’en croire, l’Afrique a trouvé des ressources humaines qui doivent lui permettre de revendiquer aujourd’hui cette indépendance. Seulement, s’est-il empressé d’ajouter, « au-delà des pharmaciens, il y a des actions qui doivent être entreprises par l’autorité politique ». Selon lui, quand on parle de l’industrie pharmaceutique, ce n’est pas seulement le volet médicament qui entre en jeu. D’autres facteurs sont d’une importance capitale qu’il ne faudrait pas négliger. Il s’agit de l’énergie, des intrants, de la douane, du foncier etc. C’est tout un environnement et en travaillant en parfaite collaboration avec les autorités, cette ambition pourrait devenir une réalité en Afrique.
Des défis à relever ensemble
Par ailleurs, Dr Assane Diop, représentant l’intersyndicale des pharmaciens d’Afrique au Forum pharmaceutique international est sans ambages. « En termes d’industrie pharmaceutique, dit-il, trois éléments permettent de garantir la réussite : le volume, le coût des productions, la protection de la production ». Relevant les disparités qu’il y a en Afrique, il a cité la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte, le Maroc et l’Afrique du Sud où 80% de la consommation sont produits au niveau local. Par contre, a-t-il signalé, pour les pays d’Afrique au sud du Sahara francophone, c’est encore un niveau très faible et par conséquent dépendent à 95% de la production de firmes étrangères d’Europe, d’Asie et d’Amérique.
C’est pourquoi, a précisé le syndicaliste, le thème du FPI de Dakar est articulé autour des « défis à relever ensemble ». « Ce n’est pas chaque pays à part qui va régler le problème aux niveaux de la régulation, de l’enregistrement du produit, de la segmentation des marchés. L’idée c’est d’anticiper sur ces défis et de voir comment y aller », a fait comprendre Dr Diop.
Un marché de 15 mille milliards FCfa à conquérir
De toutes les façons, Dr Aboubakrine Sarr pense qu’un pays comme le Sénégal, tout seul, ne peut pas produire un marché potentiel. Parce que pour qu’un marché potentiel soit viable dans l’industrie pharmaceutique, le minimum c’est 100 millions d’habitants, le Sénégal n’étant peuplé que de 17 millions d’habitants. « Il faut qu’on ait des zones de productions dans l’espace Uemoa pour que le médicament soit accessible et qu’il y ait une préférence locale en Afrique par rapport à ce qui est produit ailleurs dans le monde », a plaidé le Conseiller technique du ministre de la Santé et de l’Action sociale.
Qu’à cela ne tienne, développer une industrie pharmaceutique pour l’Afrique et par l’Afrique elle-même ne peut qu’être profitable pour le continent. « En 2021, le marché du médicament mondial se chiffrait à 1530 milliards de dollar et la consommation de l’Afrique ne représentait que 25 milliards de dollar, soit 15 mille milliards FCFA », a-t-il rapporté. Mais il a estimé que l’impact de la production locale sur la balance commerciale mondiale fait partie des opportunités à saisir pour l’Afrique.
Les mesures incitatives de l’Etat du Sénégal
Au Sénégal, entre septembre et octobre 2021, le ministère de la Santé et de l’Action sociale a eu à faire un Lab qui était un atelier de restructuration de la balance (branche) de l’industrie pharmaceutique, puisque, dit-il, celle-ci constitue un des leviers pour aller vers cette indépendance ou cette souveraineté pharmaceutique. Dans cette optique, le conseiller technique du ministre de la Santé a salué l’effort de l’Etat du Sénégal qui, selon lui, s’était défini cinq (5) objectifs précis. Selon Dr Aboubakrine Sarr, pour que le médicament soit, il y a un certain nombre de choses qu’il faut régler afin que le produit fini soit accessible à un prix abordable. Poursuivant, il a fait noter que le premier objectif est que le médicament produit sur place soit accessible à la commande publique (secteurs public et privé). Etant entendu que le médicament a un coût qui, lui, dépend d’un certain nombre de facteurs, il signale que le Sénégal a apporté des innovations majeures que sont : l’exonération fiscale, la suppression de la Tva pour l’importation de matières premières, l’accessibilité à l’énergie qui revient entre 20 et 25% du produit fini, l’accès au foncier. Tout cela est fait par l’Etat du Sénégal pour encourager l’installation de l’industrie pharmaceutique afin que le produit fini soit accessible à la population, a fait savoir Dr Sarr. Mais plus encore, a-t-il ajouté, l’Etat a mis en place l’Agence de la réglementation pharmaceutique qui a une forte responsabilité dans la règlementation du secteur de la pharmacie avec plusieurs innovations prévues après l’adoption de la loi sur la pharmacie qui sera révisée dans le courant de l’année 2023.
VENTE DE MEDICAMENTS DE LA RUE
Le Sénégal tend vers la criminalisation du fléau
Chose préoccupante : les médicaments de la rue. Mais le président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens du Sénégal est sans équivoque. « Je suis désolé de devoir parler de ça. La place du médicament n’est pas dans la rue. La place du médicament est entre les mains des professionnels. Le médicament est un produit de santé publique. On peut même l’appeler produit de luxe parce que c’est quelque chose qui garantit le bien-être de l’individu. Comment peut-on le retrouver dans la rue ? », s’est-il exclamé face aux journalistes.
D’ailleurs, a-t-il révélé, dans le cadre de la révision des textes législatifs en vue de leur adoption à l’Assemblée nationale, le Sénégal tend vers une criminalisation de la vente de médicaments de la rue. « Aujourd’hui, l’une des gangrènes du secteur de la pharmacie, ce sont les médicaments de la rue, et le Forum pharmaceutique international constituera un bouclier contre ce fléau », a averti le président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens du Sénégal.
Laye Sidy